Soigner le corps et l’âme des victimes de torture, la mission du Centre Primo Levi

Céline Peschard
Au Féminin, le 26 juin 2020

Il est un lieu à Paris qui redonne le goût de vivre à de nombreux réfugiés qui ont eu le malheur d’être victime de torture dans leur pays. Le Centre Primo Levi, c’est son nom, est la plus importante structure en France spécifiquement dédiée à cela. Les personnes accueillies bénéficient d’une prise en charge psychologique, médicale et kinésithérapeutique, mais aussi d’une aide sociale et juridique.

À l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, nous avons rencontré le Dr Agnès Afnaïm, médecin au sein du Centre Primo Levi à Paris, depuis une quinzaine d’années. Ce lieu offre un soin pluridisciplinaire aux victimes de la torture et de la violence politique, qui se sont réfugiées en France. Créé en 1995 par la section française d’Amnesty International, Médecins du Monde, l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Juristes sans frontière et l’association Trève, le centre reçoit chaque année, plus de 400 personnes originaires de plus de 40 pays différents.

« La particularité du Centre Primo Levi est son orientation psychanalytique. Quel que soit le domaine dans lequel nous travaillons (kiné, médecin…) nous mettons une grande importance dans l’écoute de leur parole singulière. Prendre connaissance de ce qu’ils ont vécu (traumatismes, violences), de leur parcours d’exil et de leur arrivée dans le pays d’accueil, c’est fondamental et au cœur de toutes les prises en charge. On les reconnaît, on les croit, on donne de la valeur à ce qu’ils nous disent. », nous explique le Dr Agnès Afnaïm.

Cet endroit de paix et de reconstruction fonctionne grâce à une douzaine de cliniciens (six psychologues, trois médecins, deux travailleurs sociaux et un kinésithérapeute). Sans compter le pôle administratif et un service d’interprétariat professionnel qui peut traduire 40 langues. Face à des besoins exacerbés par la crise sanitaire, l’accès à des soins de qualité (en particulier au niveau psychologique), l’accompagnement individualisé et la prise en charge dans la durée sont des réponses pertinentes et nécessaires.

« Les conditions d’accueil et de vie en France sont de plus en plus précaires pour les exilés et encore plus avec le Covid-19. Les grandes difficultés que nous rencontrons sont un véritable défi dans notre travail », déclare le Dr Agnès Afnaïm.

Les futurs patients sont dirigés vers ces experts d’une seconde destinée via un important réseau d’associations et de centres d’hébergement. Un site Internet existe aussi pour pouvoir bénéficier de soins. Et d’anciens réfugiés conseillent le Centre Primo Levi aux nouveaux arrivants.

« Maintenir le lien autour de ces personnes est d’une grande importance même si nous n’avons pas toujours de réponse à leur fournir au vu de leur situation. », ajoute-t-elle.

Des survivants à la torture

Quand nous évoquons l’acte horrible de la torture qui peut paraître lointain dans l’esprit français, le Dr Agnès Afnaïm insiste sur le fait que dans nos rues, sur les trottoirs sont visibles des hommes et des femmes qui forment des êtres informent, qui ne ressemblent plus à des humains.

« Beaucoup sont des survivants à la torture. Dans l’esprit collectif, c’est difficile d’entendre, d’imaginer et de figurer la torture, pourtant elle est très active dans le monde. », nous confirme-t-elle.

Aujourd’hui, le Dr Agnès Afnaïm se sent bien dans son travail et « à sa place » mais sans filtre elle nous avoue qu’au début elle ne se sentait pas à l’aise avec le mot ‘torture’, qui était pour elle trop dur à affronter.

Son métier est motivé par ses rencontres avec des personnes qui au début sont cassées physiquement et intérieurement : « pour le plus grand nombre, les séquelles les plus marquées sont psychiques, elles ne se voient pas du dehors. »

« J’ai soigné des personnes d’une grande dignité. »

Il est difficile pour le Dr Agnès Afnaïm de nous raconter une seule anecdote, évidemment tous ces liens créés sont des souvenirs ancrés dans son coeur. Elle nous parle cependant d’un monsieur venant d’un pays d’Afrique subsaharienne. « Il était très agité dans le cabinet, il ne tenait pas en place et il s’adressait à des voix. Il ne pouvait pas patienter, il se sentait persécuté par les autres personnes dans la salle d’attente, car il voyait son bourreau sur chaque visage », nous dit-elle.

Après ce premier rendez-vous, la femme médecin a pu créer un lien de grande qualité avec lui. Apaisé, l’homme s’est révélé être une personne d’une grande finesse intellectuelle et morale. « À l’heure actuelle, sa situation a évolué, il n’est pas sorti d’affaire, mais il a réussi à accéder à une formation, d’accueillant plus précisément. C’est une belle issue pour quelqu’un qui ne supportait pas la présence d’un autre humain », observe-t-elle.

Une nouvelle magnifique pour la spécialiste qui voit les situations de ces êtres venus de loin bouger dans le bon sens. Même si les années passent, elle garde un réel contact avec eux : « certains anciens patients viennent me consulter en tant que médecin généraliste par la suite. »

« Ils ont une force de vie extraordinaire pour avoir passé et survécu à ce qui leur a été infligé. Je m’incline devant cette force de vie. Maintenant, notre devoir est d’animer cette flamme-là », résume poétiquement le Dr Agnès Afnaïm.